L'Italie... Mon Italie...
Voici un texte que j'avais publié sur un feu blog il y a quelques années... je l'ai jalousement gardé car il m'est particulièrement cher... Lorsque c'est l'émotion qui est en jeu, on perd nos moyens...
Lorsque je pense à l'Italie, une scène-clé émerge de ma mémoire et chasse tout le reste.... comme si, l'espace de quelques instants, ce pays était réduit à cela: l'image de moi, mes frères, ma maman, mon papa, mon oncle Luigi, ma tante Ivana, ma cousine Carla, mon cousin Stefano, ma tante Marinella, mon oncle Manlio, ma cousine Claudia.... tous réunis dans le bureau du grand appartement de mon grand-père, la porte fermée, étouffant nos voix et nos fous-rires pour ne pas réveiller Nonno Guido, l'octogénaire qui dormait dans sa chambre à l'autre bout du couloir et qui s'insurgeait au moindre bruit, au moindre pas!
J'avais déjà quitté Rome lorsque cette scène commença à se répéter systématiquement. Notre joli appartement de Via della Ferratella rendu à son propriétaire, mon enfance italienne n'était plus qu'un doux souvenir....
J'avais cinq ans et demi lorsque mon papa décida de quitter son poste de Conseiller Culturel à l'Ambassade d'Egypte à Rome et de rentrer dans son pays reprendre sa mission de professeur universitaire... Ouhhh le choc lorsque pour la première fois je découvris les rues sales d'Alexandrie!!! les gens qui se baladaient en pyjama (si si!! dans les années '70 c'était absolument normal!! et le comble... tous les pyjamas étaient rayés!), cette langue que je ne maîtrisais pas encore et qui était aux antipodes de celle qui m’avait bercée… Je me souviens avoir demandé à ma maman, en pleurant, pourquoi tout le monde était moche ici et pourquoi ils s'habillaient pas avant de sortir!!! je me souviens aussi, dans la voiture qui nous emmenait de l'aéroport à notre petit appart de rue Pietri (que j'aurais adoré par la suite, tout comme mon pays, et mon peuple en pyjama!), que mes larmes coulaient sans que je ne parvienne à les retenir, que mes parents me demandaient ce qui se passait, et comme j'avais honte de dire que mon grand-père me manquait, j'avais répondu que mon frère Anwar me pinçait et me faisait mal!! et mon frère de se révolter comme un fou en criant: "Mouaaaaaa????? mais quelle menteuuuse!!!!!" Il s'en souvient encore lui aussi! J'en ris maintenant mais à l'époque, j'en avais le coeur lourd lourd lourd.....
Et alors j'ai commencé à découvrir la valeur du temps! Chaque année je comptais les mois, les jours, les heures.... Dix mois de pénible attente avant de rentrer de l'école, le dernier jour des classes, pour laisser exploser ma joie!!! Je le savais, mon papa avait déjà nos billets d'avion sur Alitalia... destination Rome... Aéroport Leonardo da Vinci!!!!!
Ainsi, pendant de longues années, mon Italie était-elle réduite aux mois de juillet-août, sous un soleil d'enfer!!! Adieu les Noëls en famille avec les fous-rires, l'infinité de cadeaux sous le sapin, les parties de cartes, les fritures caractéristiques du grand dîner du 24, les pâtes au saumon qui en Italie ont un goût différent, le Panettone, le Pandoro, le Pangiallo made by nonno Guido... Adieu les errances dans les rues parsemées de feuilles mortes des automnes romains, la succession des saisons qui étaient bel et bien quatre ! A part deux petites exceptions en 1993 et en 2005, je ne devais plus revoir l'Italie que sous le soleil...
Tant pis! pour le moment j'étais là, dans l'appartement de mon grand-père où nous avons séjourné tous les ans, pendant nos vacances romaines, si on n'était pas à Campo di Mare ou à Lavinio à se faire dorer par le soleil... jusqu'a la tragique année 1994, année ou mon adoré nonno Guido nous quitta, et que cet appartement qui a symbolisé mon enfance et mon adolescence fut tragiquement vendu !!!!
Et nous voici donc enfermés dans le bureau pour ne pas réveiller nonno Guido qui avec l'âge, s'inventait un nouveau bobo toutes les trois minutes!! On y était si bien dans cette petite pièce qui réunissait tant de liens de sang si nostalgiques l'un de l'autre.... On avait tellement de choses à se dire!! dix mois à se raconter, de doux souvenirs à évoquer, des photos et des diapos à se montrer, et puis il fallait sortir toutes les bêtises et les tics de Nonno Guido!!!! Aahhh ce qu'il nous faisait rire avec ses manies!! et pourtant qu'est-ce qu'on l'aimait ce grand homme!! Mais.... ô désastre!!!!! un fou-rire plus haut que les autres finissait toujours par traverser le couloir, et notre bonne humeur était soudainement coupée par la porte qui s'ouvrait au moment ou l'on s'y attendait le moins.... et la furie de nonno Guido qui hurlait les yeux hors des orbites et l'accent irrémédiablement romain : "Certo che n’c’avete nessuna pietàààà!!!!!! v' ho detto che non riesco a dormiiii.... ve vojo vedè a voi a l'età mia!!!!" (Vous n'avez vraiment aucune pitié!!! je vous ai dit que j'arrive pas dormir!!! Je veux vous voir vous, à mon âge!!) Et il refermait violemment la porte!! Alors on laissait exploser nos rires retenus par un effort surhumain..... et notre soirée familiale se terminait souvent par un "Ahoooo!!! annamo a manya' n'gelato?" ("Heyyyyy on sort manger une glace?")...
Et nous voici tous prêts en un clin d'oeil, ouvrant dé-li-ca-te-ment la porte de l'appartement 13 du 22, rue Metaponto.... Et les promeneurs nocturnes du quartier de San Giovanni se souviennent peut-être encore de cette drôle de famille qui se baladait par petits groupes, dans les rues de Rome....