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Chemin faisant...
18 mai 2013

Mon Italie (2): Nonno Guido

"Il t'a pris au bout de ses bras
Dans un éclat de rire
Toi, bébé, tu as pris son doigt
Comme pour le retenir"

Il paraît vraiment que le bébé, dès qu'il voit le jour, signe son pacte avec la vie. Lorsque je suis née, mon papa était prisonnier de la bureaucratie des années '70 (qui, entre nous, n'a pas beaucoup changé!!) et tentait désespérément de terminer ses démarches pour rejoindre sa famille en Italie. La première personne qui m'a prise dans ses bras fut mon grand-père, nonno Guido. La tendresse et la chaleur qu'on a dû ressentir à ce moment-là, lui et moi, fut la clé de voûte de notre relation jusqu'au jour de sa mort, et même de ce que je ressens encore à son égard, 19 ans après sa disparition...

Mon enfance italienne, c'est aussi et surtout nonno Guido...  Ma grand-mère était décédée 13 mois avant ma naissance et ma venue au monde fut sa première joie après le drame, son premier sourire après les larmes... J'étais aussi la benjamine de la famille, mes frères et mes cousins étaient tous plus agés que moi; alors je devins son jouet, son bonbon, son passe-temps préféré...  L'amour est le plus souvent réciproque et je le lui rendis comme il se doit, même si je ne l'ai jamais exprimé comme je l'aurais voulu,  et je m'en veux lorsque je pense à toutes les fois que, avec mes frères et mes cousins, nous nous amusions à lui faire des farces, ou à nous moquer de ses manies de vieux!

Même s'il aimait tous ses petits-enfants  j'étais un peu sa chouchoute... il ne le disait pas expressément mais je le sentais, et tout le monde s'en rendait compte je crois..  Je le lisais dans son regard, dans le ton de sa voix, dans ses sourires... Et puis j'étais celle qui, petite,  l'accompagnait souvent dans ses promenades, acceptait d'aller à l'église avec lui le dimanche matin, celle qui essayait d’être gentille avec Marcella, que personne n'aimait, car on avait l'impression qu'elle s'imposait dans sa vie et qu'elle cherchait à prendre la place de ma grand-mère, alors qu'elle n'était qu'une amie, veuve elle aussi, et qui avait probablement simplement besoin de parler et de sentir qu'elle n'était pas inutile...

Notre départ d'Italie fut dur pour lui aussi bien que pour moi... mais entretemps, je grandissais... mon grand-père n'était plus mon seul centre d'intérêt... et lorsque je revenais pour les vacances il y avait mes cousins, leurs amis, les derniers tubes, les derniers films, les news de la Juventus et des Azzurri, il y avait la bonne cuisine qui nous manquait tant, les bonnes glaces, les vraies pizzas, le shopping, bref tout le Made in Italy qui nous paraissait un luxe tellement il n'y avait rien en Egypte dans les années 70-80!! C'était aussi l'âge de la révolte, de la rébellion contre les clauses parentales et familiales, l'âge où je voulais me sentir libre et indépendante, ou je commençais à songer au mec du café au lieu de passer du temps avec mon grand-père.... Je sentais qu'il souffrait en silence de ce "détachement" qui n'était autre qu'un  reflet très normal de l'adolescence...

Un jour, sans le vouloir,  je lui causai beaucoup de mal: comme il est fréquent chez les personnes âgées, il oubliait souvent les histoires qu'il avait déjà racontées et on devait les subir des dizaines de fois, avec les mêmes infimes détails et la même emphase. Il y en avait une en particulier qu'on ne supportait plus: l'histoire de la cigarette et comment, du jour au lendemain, il arrêta de fumer!

"J'ai commencé à fumer à l’âge de douze ans! A l'époque on n’était pas encore conscients des méfaits du tabac... je fumais en boucle sans m'en rendre compte... Et puis un jour, à 20 ans, je me promenais sur un pont avec Matilde, et elle me dit: "Guido... tu devrais vraiment arrêter de fumer!". A ce moment précis je fumais ma 41ème cigarette, et sans la moindre hésitation je la jetai du haut du pont, et depuis, je ne fumai jamais plus"

Voilà, vous avez l'honneur de la connaître vous aussi maintenant!!!  Et donc on la connaissait par coeur cette histoire et on la récitait souvent pour rigoler, lorsqu'il n'était pas là... Mes cousines et moi nous nous amusions à faire des farces au téléphone, ce qui fait qu'un jour on composa un numéro au hasard et on avait retranscrit sur une feuille l'histoire de la cigarette pour la lire à l'heureux élu qui aurait décroché! Et bien, notre blague accomplie, nous oubliâmes le bout de papier près du tel... Mon grand-père le découvrit à son retour...   Je vous le jure, rarement j'ai ressenti un creux au coeur comme en  découvrant la tristesse de son regard et les mots incohérents qu'il balbutia en sortant de la pièce...  Je m'en veux encore aujourd'hui...

Mais on avait gardé bien-sûr d'autres belles habitudes ; entre autre, le rite sacré de nous installer tous les deux au balcon, l'un en face de l'autre et de papoter de tout et de rien... C'est lui qui parlait la plupart du temps et je l'écoutais attentivement, comme une disciple écoute un maître. Il m'a beaucoup appris cet homme!!! Son sujet favori était la Seconde guerre mondiale, les peines que ses connaissances ont endurées, ses voisins juifs et l'holocauste. Sans  vraiment s’en rendre compte,  il m'a sensibilisée à la Shoah, il a fait de moi une tolérante, une humaniste... On s'amusait à trouver les similitudes entre les religions, lui le fervent catholique, moi la musulmane multicroyante! il me racontait aussi comment il avait été choqué lorsque ma mère avait exprimé le dessein d'épouser mon père, l'arabe, le bédouin, le musulman, le terroriste !!  et comment il avait fini par adorer mon papa... Et même s'il lui arrivait souvent de répéter les mêmes histoires, ses sources étaient intarissables et c'était un vrai bonheur que de l'écouter...

On comprendra mieux maintenant pourquoi je pleurais dans la voiture qui m'emmenait de l'aéroport du Caire à mon nouveau chez moi d'Alexandrie, pourquoi je lui écrivais des lettres une fois par semaine, pourquoi lorsqu'il nous accompagnait a l'aéroport, à la fin de l'été, pour prendre notre avion de retour, il tentait par tous les moyens de cacher ses larmes, en me serrant dans ses bras; pourquoi la dernière fois que je le vis, dans son lit d'hôpital, un an avant sa mort, son regard me suivit jusqu'à la porte alors qu'il y avait d'autres personnes qui sortaient en même temps que moi, pourquoi à l'annonce de sa mort je ne pleurai pas sur le coup, mais je gardai inconsciemment mes larmes pour les laisser couler une à une, à chaque fois que son image me revient... 

Nonno Guido est l'un de mes mythes, l'un de mes plus grands héros... justement parce qu'il ne fit rien pour l'être, que de laisser parler son coeur...

 "Toutes tes colères
Toutes tes peines, tes joies
Tes plus belles guerres
Celles que l'on ne gagne pas"

 

 

nonno-Yasmine

 

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Commentaires
Y
Oui Stefanou... c'est ce que je pense... Bisou! ;-)
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S
C'est vrai ma chère cousine, tu étais bien sa préférée... ma il avais ces (trés) bonnes raisons pour t'aimer tellement, car il a toujour su combien de bien tu lui voulais.<br /> <br /> A bientôt, j'espère..<br /> <br /> Stefano
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Y
Nazly: Oula quel gâchis!! je savais pas! j'y ai pas été depuis 2008 ou 2009 donc...<br /> <br /> <br /> <br /> Manar: vous êtes les bienvenue... et merci pour vos mots! ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Marie: Ben parce qu'il n'en était pas question qu'il laisse sa maison, son pays, sa vie quoi... Les personnes âgées sont trop attachées à leur passé et n'ont pas la force de recommencer.. ;-)
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M
Guido, pardon
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M
Dis,j'ai une petite question sûrement idiote... pourquoi il n'est pas allé en Egypte avec vous Nonno Guio ?
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