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Chemin faisant...
9 octobre 2013

Antisionisme et antisémitisme. Vision d'une humaniste

     La lecture récente d'un livre intitulé Un très proche orient. Paroles de paix a ravivé en moi un topos émotionnel qui n'était certes pas mort, mais qui était juste resté submergé ces derniers temps par de nombreux événements marquants, au niveau politique, social ou privé. Le conflit israélo-palestinien, ou judéo-arabe si vous préférez, a toujours été au coeur de mes préoccupations, non pas à cause d'une quelconque vocation politique, mais tout simplement parce qu'il comporte en soi le drame de la condition humaine....

    "Humain".... un mot qui m'est cher, un qualificatif capable de bouleverser des théories quitte à m'amener à les reconstruire dans le sens inverse. Aboutir à l'humain c'est tout ce qui m'intéresse finalement. Si le CQFD s'éloigne de l'homme, vous pouvez être sûrs qu'il me laisse indifférente, lorsque ce ne sont pas la révolte, l'incompréhension ou l'amertume qui prennent le dessus... 

   Mais qu'y a t-il d'humain dans un conflit de violence et de haine qui persiste depuis plus de 65 ans, se demanderont certains. Rien, et pourtant tout! Et qu'y a t-il de "discutable" ou de négociable dans le statut d'une terre, celle de mes voisins et par extension la mienne, violée et appropriée sans gêne et sans pitié, par un ennemi qui n'a pas hésité à expulser les familles de leurs logis, pour s'installer inexorablement et réclamer un ancien rêve de terre promise, auquel ils sont les seuls à croire? Quelle utopie humaniste peut-elle justifier ou pardonner des massacres intolérables de la part de ces colonisateurs qui se posent ensuite en victimes pour gagner l'empathie du monde, lorsque les soi-disant terroristes expriment une certaine résistance, par des moyens souvent rudimentaires?  Certes, vu sous cet angle, cet article n'a même pas de raison d'être et tout autre discours serait chimérique, surtout lorsqu'on porte en soi une identité arabe et musulmane et que le problème nous touche de près, et encore! s'il nous touche de près, s'il fait appel à notre culture, à notre nationalisme, à notre histoire, ou tout simplement à notre orgueil ou à notre instinct de justice, cela ne veut pas dire qu'on l'ait vécu! Car il faut vraiment avoir pâti les affres quotidiennes de ce conflit, s'être privé de sa famille, d'un être cher, de sa maison, de sa terre, de son histoire, avoir cherché refuge dans les terres voisines et s'être souvent heurté à l'indifférence des autres, pour comprendre le drame du peuple palestinien...  

     Je suis quelqu'un de lucide et je n'ai jamais perdu de vue la souffrance de mes confrères... Cette perspective que je viens de décrire, c'est aussi la mienne. Autant ne pas se méprendre sur mes objectifs donc, car je n'ai aucune intention de justifier le sionisme! Mais je vous dirai une chose: je rejette et hais le sionisme au même dégré auquel je condamne l'antisémitisme. Et c'est peut-être là que le bât blesse. J'assume totalement mes dires en déclarant que la plupart de mes compatriotes confondent sionisme et antisémitisme. Ce n'est ni par méchanceté ni par intolérance. Le Christianisme et l'Islam, les deux religions majeures de mon pays, incitent au respect et à la tolérance. Le Prophète Mohammed - Mahomet - nous en donne un exemple lumineux lorsqu'il se lève respectueusement au passage d'un cortège funèbre. Lui ayant fait remarquer que le défunt était juif, le prophète réplique par ces termes: "N'est-ce pas une âme?" 

     L'âme humaine n'a pas d'étiquette distinctive... l'âme humaine est la même partout... Dans sa brève escale terrestre, elle aime, hait, pleure, souffre, rit, s'épanouit puis se dégrade, et puis elle quitte ce monde toujours de la même façon... qu'elle soit juive, musulmane, chrétienne ou agnostique. Autour d'elle les rites diffèrent et les thrènes ont une sonorité qui varient d'un pays à l'autre et d'une croyance à l'autre mais l'âme, elle, est universelle. Elle ne porte ni voile ni kippa ni crucifix. Qu'elle s'appelle Abdel Rahman, David ou Martin, cela ne se devine pas; elle a laissé tomber tous ses superflus et n'a gardé que l'Essentiel, son statut d'âme, qui est une entité en soi... Alors qu'importe que le petit corps qui est tombé hier soir ou encore ce matin se soit appelé Esther ou Amina? Elles sont parties, et avec elles leurs différences et leurs divergences. Leurs âmes se ressemblent, comme se ressemble la douleur lancinante de leurs proches et de tous ceux qui les ont aimées... car c'est là que l'humain entre en jeu, et que tous les conflits du monde se dissipent, et ne subsiste que la douleur... 

     Un juif qui souffre m'émeut au même degré qu'un musulman qui souffre... Et lorsqu'en plus il souffre par la faute des autres, à cause des enjeux politiques créés et transmis de génération en génération ou à cause de circonstances où il s'est trouvé impliqué, ça devient encore plus dramatique et par conséquent, plus humain. J'ai été élévée dans le respect de la différence. Mes origines mixtes y sont pour beaucoup évidemment, et j'ai eu la chance d'avoir des parents qui ne connaissent aucun genre de distinction. Chez nous on fêtait tout! L'année 1974 est un peu l'emblême de notre "polythéisme" symbolique. Cette année-là, le Grand Baïram coïncida avec la veille du Noël catholique... On célébra donc le sacrifice d'Abraham au déjeuner, avec mouton et plats traditionnels, et on organisa un grand réveillon le soir, autour du sapin qui clignotait... Des éléments juifs manquaient à la clique, autrement on n'aurait pas hésité à célébrer Chabbat, Kippour ou Hanouka... J'ai grandi dans une atmosphère de respect envers l'Autre, de complicité et surtout d'empathie. J'en ai passé des après-midi entières, assise face à mon grand-père dans le balcon de son appartement romain, à évoquer les souvenirs de la Seconde Guerre (qui pour lui était tout simplement "La Guerre") à pleurer le sort des déportés dont on n'eut plus aucun signe de vie, à écouter le récit de M. Calo, son voisin juif que les nazis étaient venus chercher, et comment mon grand-père faillit être déporté à sa place à cause d'une méprise, pour être miraculeusement lâché grâce à une petite phrase géniale prononcée par le propriétaire de l'immeuble, qui sauva du même coup et mon grand-père et M. Calo!!! Cette première sensibilisation à la Shoah fut déterminante dans ma vie... Ces récits à la fois atroces et passionnants se gravèrent à jamais dans un coin de mon coeur, et dévéloppèrent petit à petit un intérêt privilégié pour ce chapitre pénible de l'Histoire... Je poursuivis les discussions avec ma maman, qui était toute jeune à l'époque mais qui a, elle aussi, gardé des traces indélébiles de cette période, et je me documentai parallèlement en exploitant tout ce qu'il y avait à exploiter: livres, témoignages, documentaires, sites internet, films... Je fus carrément bouleversée en regardant "La liste de Schindler", "Un secret", "La vie est belle".  Je crois pouvoir affirmer qu'aujourd'hui, j'en sais à ce sujet autant qu'un juif, si ce n'est pour le vécu, l'expérience personnelle qui dans un drame de cette ampleur, fait évidemment toute la différence! 

    Je me suis souvent demandé comment des personnes qui ont subi de telles atrocités, qui ont été victimes ou témoins d'actes monstrueux, intolérables, inhumains, ont pu infliger à d'autres êtres humains le même sort, car, qu'on le veuille ou pas, la tragédie du peuple palestinien n'en est pas moins immonde... Elle est simplement plus étendue dans le temps (Est-ce une chance ou un calamité?), mais elle n'a rien à envier à la Shoah... Le remords et la honte liés à l'Holocauste ont étourdi la communauté internationale, la déclaration de M. Balfour a donné au drame une facette "officielle", l'écoulement des années a banalisé l'infamie... Ainsi, ces palestiniens qui n'y étaient pour rien furent-ils le bouc émissaire des complots occidentaux contre les juifs...  La femme-enfant en moi ne comprend toujours pas pourquoi le Royaume-Uni n'a t-il pas proposé sa propre terre, ou mieux, l'Allemagne, ou la France, ou l'Italie pour expier les péchés de la Shoah! car, et toujours selon une logique toute enfantine, ces populations devraient se sentir bien coupables pour toutes les atrocités commises (et pas que durant la Seconde Guerre!), lorsque les arabes abritaient fraternellement les juifs et condamnaient toute cette horreur!! Mais la loi qui prédomine est celle de la jungle, alors... redevenons adultes!

    Ainsi, sionisme et antisémitisme se distinguent-ils nettement dans mon esprit... Ce n'est pas le cas de tous mes compatriotes... Pour la majorité des égyptiens et des arabes, le concept de "juif" est lié à un passé et à un présent de souffrances, d'injustices, de guerres, de colonisation... "Juif", "israélien" et "sioniste" sont synonymes.  J'avoue que dans certains cas, je leur trouve une justification, sourtout lorsqu'on a vécu la triple invasion de 1956, la guerre de '67 et celle de '73 et qu'on a vibré en direct avec nos soldats, et non seulement par ouï-dire. Je suis beaucoup moins tolérante envers les soi-disant "lettrés" ou classe "cultivée", qui ont eu toutes les chances de se documenter et ne l'ont pas fait par obstination, par soumission aveugle ou par assujettissement à un courant intégriste qui a pris ces dernières décennies une ampleur terrifiante... Oui, je suis antisioniste jusqu'à la moelle mais je passerais également ma vie à combattre l'antisémitisme, tout comme toute autre forme de racisme ou de sectarisme! Et c'est pourquoi, avec les moyens du bord, j'ai toujours milité pour la paix au Proche-Orient car, lorsqu'on parvient à faire cette distinction et à séparer vraiment les choses (et non seulement par des mots en l'air, ce qui est souvent le cas), l'humain qui est en nous prime et l'esprit de tolérance se fraye un chemin.

     Je n'ai pas connu beaucoup de juifs, hélas! cinq ou six au cours de mon existence. J'aurais voulu en connaître davantage pour approfondir mon expérience humaine et puiser dans leur patrimoine et dans leur vécu de nouvelles forces vitales. Les quelques juifs que j'ai l'honneur de connaître ou d'avoir connu ont, en tout cas, beaucoup contribué à mon épanouissement existentiel et je les en remercie... Ce sont des personnes comme nous, avec des enfants, des parents, des amours heureuses ou contrariées; comme nous ils ont des souvenirs et des rêves, tout un arsenal d'expériences joyeuses ou pénibles. Ils ont vu le jour sous le ciel d'Israël ou ont été caressés par son drapeau, bercés par un hymne national capable de ressusciter les morts tellement il touche à l'émotion, célébrant "un rêve vieux de deux mille ans"... Que pouvons-nous attendre de ceux-là? Renoncer au paradis? à la terre où ils sont nés? aux principes et aux convictions qu'ils se sont religieusement légués de génération en génération, dans les récits de leurs aïeuls, dans le témoignage de leurs proches, dans les manuels scolaires, dans les livres, dans les synagogues, dans les médias, dans tout ce qu'ils ont entendu, reçu, cru, connu depuis leur naissance? Au bout de soixante-cinq ans, eux aussi ont un passé, des racines, des souvenirs et des trésors ensevelis dans cette terre. Certes, il existe aussi, parmi eux, des personnes qui condamnent le sionisme ou qui sont simplement fières de leurs nationalités respectives tout en tenant à leur identité juive. Celles-là sont des anges à mon humble avis, mais elles sont rares comme sont rares les musulmans qui comprennent la différence entre antisionisme et antisémitisme; comme quoi, personne n'est parfait ici-bas! Il serait grand temps de sortir de notre carapace de préjugés et d'idées reçues... Si pendant soixante-cinq ans le conflit n'a pas été réglé il ne le sera pas maintenant que les racines se sont renforcées et multipliées. Si les envahisseurs de 1948 s'octroyaient le droit de s'approprier cette terre ils ne vont pas s'en séparer maintenant qu'ils y ont grandi et conçu une génération d' "indigènes". Autant être réalistes et sauver ce qu'il reste à sauver, construire au lieu de détruire, accepter que la roue de l'Histoire tourne et cohabiter au lieu de s'entretuer, admettre que des destins peuvent se croiser et poursuivre ensemble le même chemin, s'ouvrir à la différence et à l'inépuisable richesse que fournirait l'amalgame de deux grandes cultures, arrêter de dire "c'est ma terre à moi" et reconnaître que le Temps a un passeport pour le Nouveau Monde et un statut de metteur en scène capable de redistribuer les rôles et de changer le décor. En tant que citoyenne arabe mais surtout en tant qu'humaine sensible aux injustices de toutes sortes, je comprends parfaitement la difficulté d'une telle entreprise et le sacrifice carrément insoutenable que requerrait un tel "pardon". Or, c'est là le noyau du problème. Nul être humain n'est obligé de se sacrifier pour les autres; on n'est pas d'essence divine et on n'a pas été créés pour porter les plaies de l'Humanité. Mais chacun de nous possède des ressources ignorées et des flux énergétiques et émotionnels qui coulent sous la carcasse déséchée et endurcie par les épreuves de la vie. Ces flux c'est notre force, notre courage, notre capacité à passer outre, notre envie de recommencer, notre positivisme, notre sagesse, bref, notre humanité.

    Je me suis fait traiter de sioniste par certains aveugles qui se prennent pour les prophètes de l'ère moderne, parce que je parlais de paix et de cohabitation; je me suis fait lyncher par des internautes juifs ou pro-juifs, ou peut-être islamophobes, parce que je défendais les palestiniens... Je n'en suis sortie que plus décidée et plus riche de mes principes... Je reconnais mes failles et mes limites, mes défauts et mes points faibles, mais s'il existe une chose dont je suis vraiment fière c'est le sang humain qui coule dans mes veines...

   Parce qu'il n'y pas plus beau que la diversité, la complicité et la réciprocité...

   L'humain avant tout...

 

humain avant tout

 

 

 

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Commentaires
Y
Merci ya Nazly, ça me fait très plaisir venant de toi... Et 2004 est parti tout comme ses cons et ses faux-culs! T'es la meilleure!
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N
Je viens de le lire d'une traite ya Yasmine. Ce n'est pas étonnnant que mon insconscient ait retardé un maximum la lecture de ton très beau texte. Il m'a fait revenir 10 ans en arrière....Je répétais presque mot pour mot ce que je lis chez toi avec les larmes aux yeux...Je n'en connais pas d'autres ya Yasmine qui revendiquent avec cette force, cette conviction et cette ténacité leur humanisme ! Je suis entièrement d'accord avec toi sur la distinction entre anti-sionisme et antisémitisme ! Je ne peux qu'applaudir à ta défense des Palestiniens (pas Hamas bien sûr) Mon analyse aujourd'hui de ce qui se passe dans les colonies exclut totalement le peuple israélien et met en cause exclusivement le nouvel ordre mondial voulu par les sionistes. <br /> <br /> Par ailleurs, je crois avoir été longtemps traumatisée par ce qui m'est arrivé en 2004 pour ne pas m'exprimer sur le sujet , mais tu me donnes une occasion précieuse.
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Y
Tes mots me vont droit au coeur. Merci Imane (Haggag?) :-D
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I
un texte très profond, Yasmine, qui donne du corps à des sentiments sans paroles. j'en suis touchée jusqu'au silence respectueux..
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