Entretien avec Melle Covid-19

Ma chambre à coucher. Porte fermée. Lumière tamisée…

Moi : Allez ! Sors de ton trou ! Je sais que t’es là !

Covid 19 : Hahahaha !! tu me prends pour qui là ? Tu crois vraiment que je vais venir m’exposer ? Je ne suis pas suicidaire !

Moi : Je te toucherai pas. Promis.

Covid 19 : Et tu me prends pour une conne, de surcroît ?? On aura tout vu !

Moi : J’ai promis. Je veux simplement te parler en tête à tête…

Covid 19 : Jamais !! Je reste caché. C’est la règle du jeu…

Moi : Sauf que ce n’est pas un jeu. Et c’est trop injuste ! Toi tu me vois…

Covid 19 : Et alors ?

Moi : Si tu as un brin de dignité montre-toi. Tu es en train de manœuvrer la planète. Parfait. Je n’ai pas la prétention de t’en priver. Je te demande seulement de le faire dignement…

Covid 19 : Ce que tu appelles « dignement » c’est ma raison d’exister. Tu as ton alcool éthylique, ton Dettol, tes désinfectants… Ce serait trop facile ma chère !

Moi : Bon d’accord, j’y toucherai pas !

Je ramasse mon attirail de défense et le mets dans un placard.

Moi : Voilà ! T’es rassurée maintenant ?

Covid 19 : De toute façon même si je sors de ma cachette tu me verras pas. Je suis trop petite…

Moi : Pas grave. Tu me diras où tu es et je te croirai sur parole…

Covid 19 : Entendu. Je suis là, juste devant toi…

Moi : Où là ?

Covid 19 : Sur la poignée de la porte…

Moi : Ah ! Enchantée Melle Covid !

Covid 19 : Enchantée…

Moi : Donc tu aurais attendu que quelqu’un ouvre la porte pour attaquer, non ?

Covid 19 : Euh…

Moi : Ok ok..  Dis… Pourquoi tu le fais?

Covid 19 : Je ne le fais pas exprès… Je rencontre ma proie, je me nourris tout en me mettant à l’abri des intempéries des humains… C’est mon instinct de survie…

Moi : Oui mais en survivant tu nous fais du mal, quitte à nous tuer…

Covid 19 : Je n’ai rien demandé… C’est vous qui m’avez accueillie dans votre domaine en mangeant des chauves-souris !

Moi : Tu aurais pu rester là où tu étais ! Si tes intentions étaient bonnes tu n’aurais pas cueilli l’occasion !

Covid 19 : Vous vous croyez tout permis… Ce n’est pas ma faute !

Moi : Ce n’est pas une raison pour envahir la planète ! Un pauvre type croque une chauve-souris à l’autre bout du monde et du coup des milliards d’êtres humains en payent le prix ! Insensé…

Covid 19 : Le petit chinois croqueur de chauves-souris ça aurait pu être toi, ou elle, ou lui… peu importe le nom… C’est l’être humain qui est en cause…

Moi : Il y a 9 milliards d’êtres humains sur cette planète ! Ce n’est pas parce un taré a eu cette idée loufoque que tout le monde doit être pris en otage ! C’est l’injustice même !

Covid 19 : Quand on perturbe la nature, la nature réagit…

Moi : La nature ?

Covid 19 : Oui, la nature. Moi aussi je fais partie de la nature, que tu le veuilles ou pas…

Moi : Mais tu es nocive ! Tu veux notre mort à tous ! La nature, la vraie, est clémente…

Covid 19 : La nature est clémente lorsqu’on la respecte ; autrement, elle se transforme en monstre…  Regarde le réchauffement climatique, par exemple ! Votre avidité industrielle, la déforestation, le dioxyde de carbone s’échappant de vos moyens de transport… Crois-tu que Dame Nature aurait avalé tout cela sans sortir ses griffes ? N’importe quoi !

Moi : La comparaison ne tient pas… Les habitudes alimentaires diffèrent d’un peuple à l’autre… ça a toujours été comme ça !

Covid 19 : Le vase finit toujours par déborder… On ébranle l’équilibre de la nature… elle résiste d’abord, elle tient bon pendant un certain temps et puis un beau jour elle bascule et  se rebelle…

Moi : Mais ça ne date pas d’aujourd’hui… Il y a toujours eu des pandémies…

Covid 19 : Justement ! C’est parce que l’humain a toujours été indocile… Mais plus le temps passe, plus ses prétentions s’accumulent, plus les conséquences sont fâcheuses et plus la nature s’acharne…

Moi : Tu penses qu’il y aura un point de non-retour ?

Covid 19 : Assurément !

Moi : On y est ? On y va ?

Covid 19 : Qu’est-ce que j’en sais, moi ! C’est pas moi qui décide ! Je ne suis qu’une pauvre représentante de Dame Nature, son arme de défense actuelle…

Moi : Défense ?! A t’entendre parler on dirait que c’est toi la victime !

Covid 19 : Je le suis, en effet. Si tu crois que ça m’amuse à devoir tout le temps lutter contre les désinfectants qui piquent, à me heurter à des masques, à glisser dans les égouts lorsque vous vous lavez les mains cent fois par jour ! Je n’ai pas demandé à sortir de ma tanière, moi ! Si tu savais comme j’y étais bien… loin de la méchanceté des hommes, loin de cette hostilité…

Moi : Tu n’as qu’à y retourner…

Covid 19 : J’aimerais bien mais ça ne dépend pas de moi.

Moi : Ca dépend de qui alors ?

Covid 19 : De Dame Nature et de son règlement de comptes avec vous.

Moi : Tu pourrais donner tout de même un petit coup de pouce  en faisant quelque… mutation, par exemple !

Covid 19 : J’essaye, mais il faut qu’on m’aide un peu, aussi… Visiblement les humains n’ont pas encore compris la leçon ! Rien qu’à voir la quantité de masques et de gants jetés par terre ! Vous polluez la nature ; elle se venge en vous contaminant…

Moi : Mais alors… Ce n’est pas un châtiment divin ?!

Covid 19 : Quelle idée !! Bien-sûr que non ! Dieu est Amour…

Moi : Et tout ce bordel alors ?

Covid 19 : Rien qu’un déséquilibre de l’univers et une colère qui finira probablement par se tasser… mais votre survie dépend de vous !

Moi : Oui… je vois…

Covid 19 : N’entrez pas en compétition avec la Nature ! Elle est plus forte que vous ; elle aura le dernier mot, c’est logique..

Moi : Bon. Et entretemps tu fais quoi ? Tu me fiche la paix ?

Covid 19 : Alors ça, je ne peux pas le garantir ; mais je te promets que je n’attaquerai pas aujourd’hui et que je te laisserai cogiter…

Moi : Bon… je voudrais ouvrir la porte si ça ne te gêne pas trop…

Covid 19 : Allez ! va chercher ton alcool ! Je supporterai la douleur, pour la bonne cause ! De toute façon je vis ailleurs…

Moi : Merci !

Je saisis la bouteille d’alcool éthylique et je désinfecte impétueusement la poignée, jusqu’à vider la bouteille… J’inspire et expire profondément…

Moi : Salope !!!!

Je jette la bouteille dans un panier.

Quelque part dans la chambre, une petite voix :

« La bouteille que tu viens de jeter, c’est du plastique ! »